quinta-feira, 27 de junho de 2013

Resposta de Glissant




Dans le Quartier latin et ce Paris bouillonnant où se croisent alors des militants du monde entier, vous fréquentez de grandes figures comme Frantz Fanon. Ce résistant des Forces françaises libres, de trois ans votre aîné, deviendra l’un des penseurs majeurs du courant tiers-mondiste. Martiniquais, comme vous, grand soutien à la guerre d’indépendance algérienne, Frantz Fanon a-t-il été déterminant dans votre engagement contre le colonialisme, ce combat fondateur qui a marqué toute votre vie ? 

Difficile de dire, a posteriori, quelles sont les rencontres ou les lectures fondatrices qui forgent votre parcours. Sur le coup, on vit les choses, c’est tout. Mais Fanon a été important, sans aucun doute. Avec Peau noire, masques blancs, publié en 1952, il a montré comment le colonialisme pouvait déconstruire les êtres, attaquer les gens de l’intérieur. Ce livre, qui est devenu aujourd’hui un classique, est une sorte de psychanalyse du colonialisme, et surtout du colonisé antillais. Les œuvres de combat de Frantz Fanon ont été essentielles dans toutes ces années pour les Noirs américains, les Haïtiens, les Noirs brésiliens.

J’ai toujours été frappé, d’ailleurs, de voir à quel point les Antillais et les gens de la Caraïbe, en général, ont eu très tôt vocation à aller aider les autres : le leader noir Marcus Garvey, d’origine jamaïcaine, précurseur du panafricanisme, un grand nombre des dirigeants noirs américains des Black Panthers et du Black Power, qui venaient de Trinidad et de Jamaïque. Depuis la Martinique, Aimé Césaire a parlé au nom de toutes les libérations africaines et Frantz Fanon est donc allé soutenir la révolution algérienne. Quand je suis pessimiste, je me dis que, ne pouvant régler les problèmes chez nous, nous sommes allés aider les autres à régler les leurs. Mais ce n’est pas vrai. Le désir d’action et de libération chez l’Antillais est volontiers nomade, et aussi son sens de la solidarité. C’est la formation « archipélique » qui veut ça.

Comme Aimé Césaire, qui a été maire de Fort-de-France et député pendant presque cinquante ans, avez-vous envisagé de vous lancer dans une carrière politique ? 

Non, jamais. J’ai toujours mené une action politique avec mes camarades, mais je n’ai jamais pensé faire une « carrière » politique. Aux élections de 1945, à la sortie de la guerre, j’avais tout juste 16 ans, (je n’avais pas le droit d’entrer dans les bureaux de vote), j’ai participé aux premières campagnes électorales d’Aimé Césaire, pour la mairie de Fort-de-France et la députation. Dans ma commune du Lamentin, avec mes amis du Franc-Jeu, nous organisions les plans de campagne électorale. Césaire venait de s’inscrire au Parti communiste qui était très fort à l’époque. Mais les communistes martiniquais étaient rassemblés dans une section « française » du PCF. Et nous, ça nous contrariait.[ Le Parti communiste martiniquais, la plus ancienne organisation politique de l'île, n'a été créé qu'en 1957, NDLR]

A la différence d’Aimé Césaire, qui défendra la départementalisation des Antilles françaises, vous serez, au contraire, favorable à l’indépendance. Cet engagement vous a coûté cher puisque vous avez été interdit de séjour aux Antilles, de 1959 à 1965. C’est un épisode de votre vie que l’on connaît mal.

Des grèves et des émeutes avaient secoué la Martinique et la Guadeloupe en 1959, un peu à la façon des récentes manifestations de 2009. En ce temps-là, la police ne prenait pas de gants ; les forces de l’ordre avaient fusillé à bout portant trois lycéens. Des enseignants avaient été suspendus de leur fonction. Le poète Paul Niger, Cosnay Marie-Joseph, qui avait été secrétaire général du Parti communiste martiniquais, Marcel Manville, l’un des avocats du FLN algérien et moi avons alors décidé de créer une organisation, le Front antillo-guyanais pour l’autonomie, interdit quelques mois plus tard par le général de Gaulle. Nous étions effectivement indépendantistes mais le Front a été dissous pour constitution de bande armée, ce qui était une invention pure et simple. C’est à partir de ce moment-là qu’avec Manville, nous avons été assignés à résidence plusieurs années à Paris. A chaque fois que j’essayais de quitter le territoire français, j’étais arrêté. Le Havre, Marseille, Strasbourg. Une fois je suis parvenu à la Guadeloupe où je fus arrêté et réexpédié en France, où j’étais « libre d’aller où je voulais ».Manville disait en plaisantant que je lui faisais l’effet d’un colis postal. 




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